
[Edito] MiCA : quand l’harmonisation tourne à la compétition
MiCA devait gommer les frontières réglementaires. Or, l’absence d’agrément délivré en France met en lumière une réalité plus complexe : les États membres de l’Union européenne se livrent désormais à une compétition fondée sur l’interprétation, la fiscalité et la qualité de l’accompagnement des acteurs crypto.
Un « level playing field » relativement théorique
Le règlement MiCA remplace 27 régimes PSAN distincts pour faire émerger un marché unique des crypto-actifs. Sur le papier, l’agrément pour les prestataires de services sur crypto-actifs (PSCA) est identique entre les Etats membres. Dans les faits, chaque autorité conserve ses propres méthodes de contrôle, son calendrier et une certaine marge de manœuvre. Résultat : le « jeu égal » ressemble davantage à une course à l’attractivité.
La France à la traîne : aucun agrément mais de nombreux passeports européens
À ce jour, aucun PSCA n’a reçu le précieux sésame de l’AMF. Les PSCA actifs en France opèrent via le passeport européen. Cette situation illustre l’inefficacité pratique de l’harmonisation et nourrit un arbitrage réglementaire : pourquoi attendre Paris quand La Valette ou Amsterdam permettent d’aboutir au même résultat plus rapidement ?
Nouveaux leviers de concurrence
La concurrence entre les États membres persiste, mais a changé de nature. Elle se situe désormais sur le terrain de l’accompagnement des acteurs, de la rapidité du traitement administratif, du régime fiscal, ou encore de l’environnement juridique global. Cette marge de manœuvre semble être devenue un nouveau levier d’attractivité.
Finalement, certains Etats comme la France semblent miser sur la stabilité et la réputation de leurs places financières et bancaires, quand d’autres jouent clairement la carte de l’innovation. Ce qui se joue en réalité, c’est la construction d’une filière pour devenir – ou non – la place de référence au sein du marché européen. A ce jeu, la France semble manquer de vision malgré les arguments dont elle dispose : industrie structurée, régulateurs sachants en crypto, discours politiques historiquement favorables.
Vers une SEC à l’européenne ?
Face à un arbitrage consubstantiel à l’application d’une même réglementation par 27 régulateurs indépendants, l’AMF plaide pour confier la surveillance des principaux acteurs crypto à l’ESMA, à l’image de qui est prévu avec la future Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d’argent (AMLA). Une supervision centralisée limiterait les stratégies d’arbitrage, renforcerait la cohérence d’application et crédibiliserait la réglementation européenne sur la scène européenne. Mais le chantier institutionnel s’annonce colossal, et soulève des critiques sur le plan politique et juridique.