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8 septembre 2025

[edito] Trump, faux ami de la crypto

William O'Rorke
Auteur
William O’Rorke

Derrière un discours affiché comme favorable aux crypto-actifs, Donald Trump pourrait bien constituer la pire nouvelle de l’année 2025 pour le secteur. Le lancement du World Liberty Financial Token ($WLFI) en offre une illustration frappante.

Présenté comme une plateforme de finance décentralisée (DeFi) combinant prêt, emprunt et stablecoin (USD1), ce projet regroupe toutes les caractéristiques classiques de la DeFi… à ceci près qu’il est adossé à la famille Trump et soutenu par un cercle restreint d’entreprises et de personnalités du secteur.

Paradoxalement, l’homme qui se présente comme le président le plus pro-crypto de l’histoire américaine pourrait bien, par excès, donner aux thuriféraires d’une régulation plus contraignante, voire hostile à l’industrie, la boîte à outil des arguments dont ils ont besoin.

La mise sur le marché du $WLFI concentre ainsi tous les risques liés à l’émission d’un instrument financier ou d’un crypto-actif : asymétrie d’information, risques d’initiés, manipulation de marché, conflits d’intérêts et soutiens douteux.

Une opération opaque

L’opacité du montage inquiète particulièrement. L’émetteur, World Liberty Inc., est une Delaware non-stock corporation : une structure utilisée pour des associations ou fondations, qui n’a aucune obligation de publier ses comptes, statuts ou administrateurs.

Le white paper du projet, largement lacunaire, ne fournit (à titre de comparaison) quasiment aucune des informations exigées par le règlement MiCA en Europe. Il prévoit même que les co-fondateurs « ne sont pas contractuellement tenus d’alimenter les frais attribués au protocole WLF » et peuvent « changer leurs plans à tout moment ». Par ailleurs, l’intégralité des revenus nets est captée par des entités liées à la famille Trump et ses partenaires, dont le promoteur immobilier Steve Witkoff. La confusion entre promoteurs et bénéficiaires traduit un conflit d’intérêts manifeste.

Le risque d’abus de marché

Deux menaces majeures se dessinent : l’opération d’initié (insider trading) et la manipulation de marché.

Ces menaces se fondent sur :

  • La détention, par Donald Trump et ses proches, d’une part considérable des tokens $WLFI (+22,5 Mds), associé au fait que leurs prises de parole publiques (tweets, annonces politiques, discours) sont en mesure d’influencer directement le prix.
  • L’absence de transparence sur les contrats liés au projet sur les informations stratégiques vis-à-vis des investisseurs.
  • La concentration des jetons entre les mains des promoteurs (plus de 30 % de l’offre) qui ouvre la voie à des ventes massives (dumping), potentiellement synchronisées avec des annonces favorables relatives au projet.

Ces pratiques rappellent les dérives déjà reprochées à l’entourage Trump : en avril 2025, des accusations d’insider trading sur les marchés actions ont émergé après un revirement spectaculaire sur les droits de douane. L’émission d’un token directement associé à son nom ne peut qu’alimenter davantage les soupçons.

Un régulateur américain affaibli

Face à cela, ni la SEC, fragilisée par les pressions politiques, ni le Congrès, divisé sur la régulation, ne semblent capables d’imposer des garde-fous. L’absence de cadre clair ouvre la voie à des abus manifestes et brouille la frontière entre innovation financière et manipulation.

En Europe, la situation contraste. Le règlement MiCA, bien qu’imparfait, impose une notification des white papers auprès des régulateurs nationaux (AMF, BaFin, etc.) un mois avant la mise sur le marché. Si ce régime de notification reste relativement flexible pour les projets, il permet néanmoins d’éviter la plupart des risques que présente le $WLFI.

Sous MiCA, le projet aurait été tenu :

  • de fournir l’ensemble des informations prévues à l’Annexe I de MiCA ; ce niveau de transparence est sans commune mesure avec le white paper américain ;
  • de produire une legal opinion destinée au régulateur, démontrant que le partage des revenus du protocole ne transforme pas le $WLFI en security token ou en instrument financier ;
  • de transmettre l’ensemble du matériel de communication afin de prouver que la promotion de l’opération est loyale, transparente et non trompeuse (!). 

Surtout, ce système de notification permet aux investisseurs de conserver des preuves de l’information fournie par l’émetteur ainsi que de la promotion de la commercialisation, ouvrant la voie à d’éventuels recours en cas de manquement ou – pire – de fraude.

Le paradoxe Trump

Le $WLFI n’est pas seulement un jeton douteux, mais interroge la crédibilité même de l’industrie crypto. Chaque soupçon d’initié ou de manipulation alimente l’idée d’un marché instable, fertile en abus, et mine sa légitimité auprès des investisseurs, du grand public et des régulateurs.

Le paradoxe est cruel : Trump, qui utilise massivement les cryptos depuis sa campagne, pourrait demain précipiter un encadrement drastique – et pas seulement outre-Atlantique.

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