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23 mars 2022

NFT-contrefaçon : quelles actions pour les plateformes et les ayants droit ?

Auteur
Romain Chilly

Déclenchée en 2021, la tendance NFT a été fulgurante et OpenSea s’est rapidement imposée comme  “the world’s first and largest NFT marketplace”, la marketplace de NFTs la plus importante au monde.

Les centaines de tutos qui affluent sur internet montrent que créer un NFT ne prend pas plus que quelques minutes. Cette simplicité de création, associée à un prix de vente parfois exorbitant, en incite certains à multiplier l’émission et la vente de NFTs artistiques, quitte à ne pas solliciter l’autorisation des auteurs des œuvres qu’ils tokenisent.

 

Créer un NFT, permis ou interdit  ? 

Les titulaires de droits sur un NFT

Le NFT, ce jeton numérique “unique et rare” fonctionnant sur une blockchain, permet une garantie de sa propriété. Associé à une œuvre numérique ou numérisée, il est généralement utilisé comme une sorte de certificat d’authenticité 2.0.

Garantie de la propriété du NFT, certes, mais pas de l’œuvre sous-jacente, dont la propriété n’est pas nécessairement transférée avec l’achat du jeton.

En pratique, les plateformes de vente de NFTs ne vérifient pas la paternité des œuvres liées aux NTFs, les émetteurs peuvent donc créer et vendre des NFTs reposant sur des œuvres ou des marques dont ils ne sont ni les auteurs, ni les licenciés. Par exemple, parmi tant d’autres, le NFT d’un faux Banksy a été vendu 512 ETH (plus d’un million de dollars) sur OpenSea.

L’auteur de l’œuvre, si elle est originale, dispose de différents droits de propriété intellectuelle. Entre autres, l’article L.123-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’il “jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire”. Ce droit exclusif d’exploitation lui permet d’interdire toute reproduction, adaptation ou représentation non autorisée de son œuvre, quel qu’en soit le support (physique ou numérique), le canal de diffusion ou la technique utilisée.

Un NFT pourrait difficilement être considéré comme une œuvre d’art au sens du droit de la propriété intellectuelle, lequel conditionne la protection par le droit d’auteur à un certain niveau d’originalité. Toutefois, l’émetteur d’un NFT va donner accès à la représentation numérique d’une œuvre (musique, dessin, tableau), au moyen d’un fichier numérique (jpg, png, MP4) associé, lequel pourra même être accessible depuis un lien contenu dans le code du jeton renvoyant vers un protocole de stockage décentralisé.

Ce processus d’émission d’un NFT implique donc de copier, télécharger et diffuser une œuvre au public, afin d’en tirer un profit pécuniaire, trois actions qui relèvent du droit exclusif de l’auteur.

La notion de contrefaçon

La contrefaçon consiste en tout acte violant les droits exclusifs de l’auteur. Il s’agit d’un délit pénal passible d’au moins 300.000 euros d’amende et trois ans d’emprisonnement (la sanction prend en compte le dommage moral et matériel ainsi que les profits réalisés par le contrefacteur).

En l’occurrence, en l’absence d’un contrat de cession de droits ou de licence sur l’œuvre associée à un NFT, autorisant expressément le cessionnaire ou licencié à copier, télécharger et diffuser l’oeuvre dans un but commercial, la création non autorisée d’un NFT sur une oeuvre protégée par le droit d’auteur constitue une contrefaçon.

La contrefaçon est en effet beaucoup plus large que le simple fait d’acheter un accessoire contrefait. Même en cas d’autorisation donnée par l’auteur, il faut être très attentif à ne pas dépasser les termes de la licence ou de la cession. En effet, il est important d’analyser précisément les droits octroyés par la licence, car il n’est pas certain que les clauses standards englobent la création de NFTs.

 

 

Mise en conformité des plateformes : qui ?

Il est possible d’agir directement contre l’émetteur du NFT non autorisé, mais son identification peut être difficile, voire impossible. Dans cette configuration, c’est vers la plateforme que l’utilisateur va se tourner, celle-ci étant tenue par plusieurs obligations.

Les participants à la lutte contre la contrefaçon

Face aux difficultés d’identification générées par l’utilisation d’internet (laquelle se retrouve avec le caractère pseudonyme des principaux protocoles blockchain), les législateurs européens et français ont rallié à la lutte contre la contrefaçon toutes les personnes qu’ils ont jugé être à même d’y participer.

Jusqu’à l’année dernière, les plateformes en ligne telles que YouTube, sur lesquelles les utilisateurs téléversent eux-mêmes des contenus susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur, bénéficiaient du statut de quasi-irresponsabilité des hébergeurs instauré par la directive européenne e-commerce du 8 juin 2000 (transposée en droit français par la loi pour la confiance en l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2001).

Depuis la directive européenne sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (DAMUN) du 17 avril 2019 (transposée par l’ordonnance du 12 mai 2021 à l’article L.137-1 du Code de la propriété intellectuelle), ce régime de quasi-irresponsabilité a été remplacé au profit d’une responsabilité graduelle applicable à certaines plateformes, afin d’impliquer autant que possible ces dernières dans la lutte contre la contrefaçon.

Ce nouveau régime s’applique aux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont « l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs ».

Ainsi, les places de marché (marketplaces), telles que Ebay ou Leboncoin, dont l’objectif principal n’est pas de donner accès à du contenu protégé, n’entrent pas dans le champ de la directive DAMUN, et bénéficient toujours des dispositions de la directive e-commerce.

A l’inverse, les marketplaces de NFTs stockent généralement des œuvres protégées par le droit d’auteur, il y a donc de fortes chances qu’elles entrent dans le champ de la définition de fournisseurs de services de partage de contenus en ligne.

L’obligation de take down & stay down des plateformes

Les plateformes de partage de contenus en ligne sont désormais responsables de la mise à disposition par leurs utilisateurs de contenus protégés par le droit d’auteur, à moins de démontrer avoir fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation, garantir l’indisponibilité des contenus illicites et avoir agi promptement, dès réception d’une notification par les titulaires de droits, pour en bloquer l’accès (take down) et empêcher un nouveau « téléversement » du contenu en cause (stay down).

La directive précise que cette obligation doit s’analyser à la lumière du principe de proportionnalité, en prenant en considération « le type, l’audience et la taille du service, ainsi que le type d’œuvres ou autres objets protégés téléversés par les utilisateurs du service et la disponibilité de moyens adaptés et efficaces et leur coût pour les fournisseurs de services » (DAMUN, art. 17.5).

Aussi, sans aller jusqu’à reconnaître une obligation générale de surveillance à la charge des plateformes, la directive DAMUN ne se satisfait plus de la seule obligation de « take down ».

Afin de ne pas freiner le développement des jeunes services en ligne, la directive prévoit que l’obligation de « stay down » ne s’applique pas aux nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus mis en ligne dans l’Union Européenne depuis moins de trois ans et ayant un chiffre d’affaires inférieur à 10 millions d’euros.

En l’occurrence, au regard du chiffre d’affaires particulièrement important des plateformes de NFTs telles que Opensea et Rarible, il semble que celles-ci soient soumises aux nouvelles obligations introduites par la directive, sans entrer dans le champ de l’exception prévue pour les plus jeunes services.

 

Notifications et actions : comment ? 

 

La notification 

Au titre de la participation des intermédiaires techniques à la lutte contre la contrefaçon sur internet, l’auteur d’une oeuvre contrefaite, notamment par la création non autorisée d’un NFT, et vendue sur une plateforme de partage de NFTs, peut demander, par voie de notification, à la plateforme de retirer promptement le contenu litigieux.

La notification doit identifier précisément le contenu litigieux et contenir toutes les informations « pertinentes et nécessaires » et notamment démontrer la réalité de la titularité des droits, afin que les mesures prises par les plateformes n’aboutissent pas au retrait de contenus n’étant pas protégés par le droit d’auteur, ou dont l’utilisation a été contractuellement autorisée.

L’injonction judiciaire 

Une injonction judiciaire peut être demandée en urgence selon deux procédures. Le classique référé prévu par l’article 835 du code de procédure civile peut être utilisé afin d’obtenir rapidement une décision temporaire.

Toutefois, en matière de droits de propriété intellectuelle il est également possible d’agir selon une procédure accélérée au fond (anciennement en la forme des référés). L’article L.336-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit ainsi que le juge peut prononcer “toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier”. Cette procédure permet d’obtenir décision au fond, dans les délais de la procédure de référé.

Outre la plateforme, l’injonction pourra viser l’hébergeur du site et le fournisseur d’accès à internet afin qu’ils bloquent l’accès au site ainsi que le moteur de recherche afin qu’il déréférence les résultats.

Ici aussi s’applique un principe de proportionnalité. Le juge des référés a eu l’occasion de préciser que les intermédiaires peuvent déterminer la nature des mesures à mettre en œuvre, selon la structure juridique et technique de son entreprise.

L’action civile ou pénale en contrefaçon

En matière de contrefaçon de droits d’auteur, les titulaires de droits bénéficient d’une option entre l’engagement d’une action civile ou d’une action pénale à l’encontre du contrefacteur identifié.

L’action pénale, dirigée devant les tribunaux correctionnels, permet de faciliter l’établissement de la preuve des actes de contrefaçon mais sera substantiellement plus longue.

L’action civile dirigée devant le tribunal judiciaire, permet quant à elle l’obtention d’une décision plus rapide mais nécessitera de l’ayant droit un travail approfondi pour l’établissement de la preuve de la contrefaçon alléguée.

 

La juridiction compétente : où ?

L’obstacle majeur aux actions initiées contre les plateformes de contenus en ligne est que la plupart de ces sociétés sont étrangères. Le titulaire de droits pourra toutefois faire appliquer la loi française en cas de litige, au moyen de deux dispositions.

Tout d’abord, en appliquant la jurisprudence qui a développé depuis plusieurs années un critère dit “d’accessibilité” en matière de cyber-contrefaçon. En 2014, à la suite d’une série de jurisprudences européennes et françaises contradictoires, la cour de cassation a consacré au cours de l’affaire Pinckney c/ Mediatech que “l’accessibilité, dans le ressort de la juridiction saisie, d’un site internet argué de contrefaçon, est de nature à justifier la compétence de cette juridiction, prise comme celle du lieu de la matérialisation du dommage allégué”.

Ensuite, en appliquant les règles de juridictions protectrices des consommateurs, pour lesquels les clauses de juridiction contenues dans les conditions générales des sites et plateformes ne sont pas toujours applicables, permettant à l’auteur ou ses ayants droit de de saisir la juridiction de leur lieu de résidence.

Le cabinet ORWL Avocats se tient à votre disposition pour échanger à ce sujet et vous assister dans la mise en place de mesures et l’élaboration d’une stratégie de conformité et contentieuse adéquate.

Article écrit avec la collaboration de Louisa Auscher, juriste en propriété intellectuelle

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