Après des phases, d’indifférence, de scepticisme, de crainte et d’observation, la France se rêve désormais en « Crypto Nation », son ministre de l’économie s’étant pris « de passion pour la blockchain et les crypto-actifs ». La loi PACTE entend instaurer un cadre juridique clair pour les activités cryptos.
Depuis quelques mois, plusieurs chantiers législatifs ont été lancés pour bâtir un cadre protecteur, souple et légitimant applicable, comme le souligne le député Eric Bothorel, à « l’intégralité du cycle de vie des cryptoactifs » et tenant compte de « tous les intermédiaires qui opèrent sur ce marché ».
La loi PACTE actuellement en discussion contient une série de dispositions visant à encadrer de manière globale le secteur des cryptoactifs, à protéger les investisseurs et à permettre le développement du secteur de manière plus ou moins contraignante :
- un visa optionnel pour les opérations d’émission de token (ICOs) ;
- un agrément pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) ;
- l’ouverture des cryptos aux fonds professionnels spécialisés (FPS) ;
- l’élargissement des obligations de lutte contre le blanchiment (LCB-FT) ;
- le renforcement du droit au compte.
Si le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, il devra encore être discuté et voté au Sénat avant d’être définitivement adopté, si nécessaire, par une commission mixte paritaire. Enfin, ces dispositions législatives devront faire l’objet de mesures d’application (décret, réglement AMF, etc.) avant de produire effectivement leurs effets. Loi PACTE cryptos.
Cet article dresse un état des lieux des dispositions adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture, des débats qui ont précédé leur adoption, de leurs impacts et de leurs évolutions potentielles avant leur adoption finale.



1. L’encadrement des ICO’s
Prenant acte de l’essor spectaculaire des ICOs depuis 2017 et du potentiel qu’elles représentent en termes de financement, le projet de loi porté par Bruno Le Maire constate que si l’absence de régulation « a pour avantage de laisser libre cours à l’innovation, elle a néanmoins pour inconvénient de mettre sur le même plan tout type d’émetteur et de projet, (…) les offres sérieuses (et) celles abusives ». Loi PACTE cryptos.
La régulation des ICOs qui, on le rappelle, échappent le plus souvent aux régimes traditionnellement applicables aux titres financiers, apparaît alors comme le fer de lance du projet.
Conçu sur le fondement des résultats de la consultation publique de l’AMF du 26 octobre 2017, l’article 26 de la loi PACTE crée un régime destiné à séparer le « bon grain de l’ivraie » sur la base du volontariat, dont les principales caractéristiques sont les suivantes :
- tout émetteur d’ICO pourra, s’il le souhaite, solliciter le visa de l’AMF ; le caractère facultatif destiné à ne pas entraver les initiatives est à relativiser, la création d’une liste blanche facultative entraînant, implicitement, l’inscription des absents sur une liste noire (ou moins blanche) ; la démarche a été critiquée tant par ceux s’en remettant aux instances européennes (amendements n° 663 et n° 1506) que par les partisans d’une absence totale de régulation (The Bitcoin Fondation) ;
- le visa sera attribué aux projets portés par des sociétés françaises présentant un white paper sincère, transparent et exhaustif : le contenu du white paper (ou « document d’information ») , les critères et les pièces à fournir pour l’obtention seront précisés par le Réglement AMF ;
- le visa pourra être retiré si le projet ne remplit plus ces conditions :l’AMF pourra alors enjoindre au projet de cesser toute nouvelle émission, souscription ou communication sur son ICO, ce qui apparaît contradictoire avec le caractère facultatif du visa ; une ICO non labellisée ne pourrait pas se voir contraindre de cesser son opération contrairement à une ICO ayant perdu son visa… ; ce pouvoir coercitif a fait l’objet de débats, les uns souhaitant l’étendre (amendement n° 901), les autres le supprimer (amendement n° 1926), mais aucun amendement n’a été adopté en ces sens.
Quoi qu’il en soit, le visa permettra de créer un cadre institutionnel souple pour les porteurs de projets tout en protégeant et rassurant les investisseurs, quel que soit leur degré de compréhension du secteur.
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2. L’encadrement des PSAN
Comme annoncé, le projet de loi entend réguler « l’intégralité du cycle de vie » des crypto-actifs. C’est en ce sens qu’a été déposé l’amendement n° 2492édifiant la catégorie des prestataires de services sur actifs numériques qui pourront / devront désormais disposer d’un agrément pour exercer leur activité. Loi PACTE cryptos.
- les activités visées seront principalement les activités d’échange de crypto-actifs (contre des cryptos ou du fiat), les conseils financiers et les gestionnaires de portefeuilles de cryptos (custodian) ;
- les obligations des PSAN, dont les détails restent à définir, dépendront de l’activité exercée mais viseront principalement à maintenir des exigences de transparence — politique commerciale non discriminatoire et méthode de détermination des prix publique pour les exchanges — et de sécurité — contrat et politique de conservation pour les wallets ; honorabilité et compétences pour les dirigeants d’exchange ; en outre, tous les PSAN devront notamment disposer d’une assurance responsabilité civile professionnelle ou de fonds propres suffisants, d’un dispositif de sécurité interne adéquat et d’un système de gestion des conflits d’intérêt ;
- l’agrément sera obligatoire pour les exchanges et les gestionnaires de wallets ; les PSAN actuels disposeront d’un délai de 12 mois pour l’obtenir ; la liste de ces PSAN agrées sera publiée et l’AMF pourra les radier s’ils ne répondent plus aux conditions ; enfin, l’exercice de ces activités sans agrément sera puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende et la fourniture d’informations inexactes ou l’absence de coopération avec l’AMF seront punies d’1 an et de 15 000 € d’amende ;
- l’agrément sera facultatif pour les autres PSAN.
Bien qu’il demande un important travail de mise en conformité de la part des différents acteurs, ce régime permettra de les légitimer et de diminuer les risques de fraude pesant sur les nouveaux entrants, au risque de créer un secteur à deux vitesses.



3. L‘ouverture des cryptos aux FPS
Comme le souligne l’amendement n° 1862, « une des pierres angulaires de ce cadre réglementaire concerne l’utilisation, à des fins d’investissement dans les crypto-actifs, d’un véhicule d’investissement régulé défini et encadré dans la loi, connu des investisseurs, avec des règles comptables et un régime fiscal établis.» Loi PACTE cryptos.
Ce texte ouvre alors la possibilité aux fonds professionnels spécialisés (FPS), organismes de placement collectif relativement souples, d’investir dans les crypto-actifs.
Cette structure présente l’avantage de n’être que très peu régulée, tant en ce qui concerne les modalités de sa constitution (déclaration préalable et absence d’agrément) qu’en ce qui a trait à ses modalités de gestion (ratios d’investissement et modalités de gestion du passif libres) ;
En revanche, elle présente l’inconvénient de ne s’adresser qu’aux investisseurs professionnels.
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4. L‘élargissement des obligations LCB-FT
Après un rapport sévère de Tracfin en décembre 2013, les activités d’échange de cryptoactifs ont été soumises aux obligations de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT) en 2016 par l’introduction du 7° bis à l’article L. 561–2 du code monétaire et financier. Cette obligation était restée lettre morte en l’absence de désignation d’une autorité de supervision telle que l’ACPR.
5. Le renforcement du droit au compte
À lire
Le PLF 2019 ou la Crypto Nation – A. Lourimi.
Compte tenu du chemin parcouru, on ne peut que s’en féliciter.
Si cette approche reste décriée par les partisans d’une absence de régulation, il y a fort à parier que cet édifice législatif permettra de légitimer et de démocratiser l’utilisation des blockchains et des crypto-actifs en France et ailleurs et d’attirer des projets internationaux en recherche d’un port d’attache en Europe.