Droit au compte pour la « monnaie sans banque »

par | Juin 27, 2018 | Articles, Blog, WO

Droit au compte pour la « monnaie sans banque »

par | Juin 27, 2018 | Articles, Blog, WO

Habitué à recevoir les exclus du système bancaire, les services du droit au compte (DAC) de la Banque de France découvrent un nouveau public : les entreprises du secteur des crypto-actifs. C’est désormais acquis, banques et cryptos ne font pas bon ménage

Il est en effet extrêmement complexe, pour une société manipulant des crypto-actifs, de trouver une banque partenaire et donc… de développer une activité pourtant licite !

Avec plus de 50 000 procédures par an, le droit au compte est encadré par l’article L. 312–1 du code monétaire et financier qui a fait ses preuves dans les “cas classiques”.

A l’inverse, lorsqu’il s’agit de crypto-actifs, les banques font de la résistance !

C’est pourquoi nous vous proposons de revenir sur vos droits, la procédure à mettre en œuvre et l’attitude à adopter face à une telle situation. 

 

1. La procédure de droit au compte

Pour initier une procédure de droit au compte et réconcilier banques et cryptos, il convient, d’une part, de ne pas disposer de compte en France et, d’autre part, de disposer d’une attestation de refus d’ouverture de compte par un établissement bancaire.

Dans ce cas, le particulier ou la société peut se tourner vers la Banque de France en lui adressant le formulaire de droit au compte attestant de l’absence de compte, l’attestation de refus et des justificatifs d’identité.

 La Banque de France désigne alors, « dans un délai d’un jour ouvré à compter de la réception des pièces », un établissement bancaire dans l’obligation d’ouvrir le compte

Il est ensuite nécessaire de fournir à l’établissement désigné les documents nécessaires à l’ouverture du compte : justificatifs concernant la société (Kbis, statuts…) et son dirigeant (pièce d’identité, justificatif de domicile,…).

Une fois les pièces reçus, l’établissement « procède à l’ouverture du compte de dépôt dans les trois jours ouvrés ». Il doit alors conclure avec le client une convention de compte et lui fournir gratuitement les services bancaires minimum : consultation à distance du compte ; services SEPA ; carte à autorisation systématique…

 

2. Le refus d’ouverture du compte

Il est désormais courant de faire face à des banques récalcitrantes, refusant l’ouverture du compte malgré le caractère obligatoire de la désignation par la Banque de France et les risques en découlant : en 2014, l’ACPR a ainsi condamné une banque à une amende de 2 millions d’euros pour avoir systématiquement fait obstacle au droit au compte.

En matière de crypto-actifs, les banques fondent généralement leur refus sur le fait que la société n’est pas en mesure de justifier de l’obtention d’un agrément de changeur manuel ou d’intermédiaire en biens divers.

Or, dans la plupart des cas, ces agréments ne sont pas nécessaires à l’exercice d’une activité non régulée.

En matière de crypto-actifs, les banques fondent généralement leur refus sur le fait que la société n’est pas en mesure de justifier de l’obtention d’un agrément de changeur manuel ou d’intermédiaire en biens divers.

Cette condition supplémentaire exigée par les banques — qui résulte soit d’une méconnaissance de la réglementation applicable à une activité liée aux crypto-actifs, soit d’une hostilité de la part des banquiers à l’encontre de « la monnaie du Darkweb » — a pour conséquence de bloquer le processus pendant plusieurs semaines, plusieurs mois voire définitivement.

Dans ce cas, il convient de procéder par étape et de :

  • faire preuve de pédagogie en démontrant à la banque que l’activité n’est pas régulée et ne nécessite pas l’obtention de l’agrément réclamé ;
  • avertir la Banque de France du refus de la banque désignée ; en effet, son pouvoir disciplinaire sur l’établissement peut permettre de débloquer la situation ;
  • en dernier recours, engager une action disciplinaire et une action judiciaire.

Sur le plan disciplinaire, les sociétés victimes peuvent alerter l’ACPR. Si cette action peut être dissuasive, l’ACPR n’a aucune obligation de lancer des poursuites disciplinaires et ces poursuites, relativement longues, ne peuvent aboutir sur une compensation financière.

Sur le plan judiciaire, l’action en référé devant le Président du tribunal de commerce permet d’obtenir, en moins de 15 jours, une injonction d’ouverture du compte sous astreinte. Une réparation du préjudice causé par le refus d’ouverture — notamment le manque à gagner — pourra être prononcée à l’issue d’un jugement au fond.

 

3. La fermeture du compte

Le droit au compte n’en serait pas un si les banques avaient la possibilité de cloturer celui-ci dans la foulée et sans autres motifs que l’usage de cryptos.

Pour prévenir cette situation, la loi a fixé une liste limitative des motifs susceptibles de justifier la fermeture du compte. Elle comprend notamment l’utilisation du compte à des fins illégales, le renseignement d’informations inexactes et l’impossibilité pour la banque de remplir ses obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment (Know Your Customer).

Ce dernier motif est le plus invoqué en matière de crypto-actifs. En effet, la banque peut se prévaloir de la difficulté d’identifier le client, les bénéficiaire effectifs maissurtout l’origine des fonds pour justifier une rupture unilatérale.

En cas de fermeture, le client doit être prévenu au moins deux mois à l’avance. Dans l’intervalle, l’action en référé précitée pourra être entamée pour contester une fermeture abusive.

Sans aller jusqu’à la fermeture du compte, la banque peut tout de même rendre son utilisation quasi impossible en exigeant — pour chaque mouvement sur le compte ! — des justificatifs quant à l’origine des fonds.

Face à une situation de ce type, il convient alors de :

  • continuer à faire de la pédagogie, si les relations le permettent, en détaillant à la banque la nature de l’activité et expliquant les mouvements sur le compte ;
  • anticiper les blocages en conservant l’ensemble des justificatifs à l’origine des mouvements de fonds (ordre sur un exchange, paiement en cryptoactifs…) ;
  • engager une action judiciaire en responsabilité contractuelle sur le fondement de la convention de compte après la saisine du médiateur de la banque.

Esperons qu’à court terme, les sociétés du secteur des crypto-actifs n’aient plus besoin de recourir à ce mécanisme inadapté. La réconciliation entre banques et cryptos sera l’une des conditions pour faire de la France une « Crypto Nation » !