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17 février 2022

Adjugé, cliqué : comment vendre des NFTs ?

Le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères (“CVV”) a récemment publié un intéressant rapport dans lequel il dresse un état des lieux du marché des NFTs et les opportunités pour le secteur des ventes aux enchères.

Il n’est pas surprenant que l’organe de régulation du secteur des ventes aux enchères s’intéresse aux NFTs puisqu’à plusieurs égards, les NFTs sont intrinsèquement liés à cette manière de vendre des biens, très présente dans le marché de l’art.

En effet, la plupart des plateformes d’échanges de NFTs et en particulier la plus importante, OpenSea, permettent aux détenteurs de NFTs de revendre ceux-ci via des fonctionnalités permettant de réaliser des enchères.

En outre, les plus grandes maisons de vente aux enchères organisent régulièrement des ventes de NFTs. A cet égard, il faut rappeler que les NFTs sont notamment apparus au grand jour depuis la vente des NFTs l’artiste Beeple pour plus de 69 millions de dollars organisée par Christie’s en mars 2021.

Plus récemment, ce sont 9 CryptoPunks qui se sont vendus pour 16,9 millions de dollars lors d’une vente également organisée par Christie’s.

 

Quelles sont les différents types de ventes aux enchères en France ?

Selon une définition du législateur, “les ventes aux enchères publiques consistent à soumettre un bien à un appel public à la concurrence que remporte la personne ayant offert le meilleur prix, désignée comme l’adjudicataire, selon les modalités d’adjudication de la vente définies à l’avance”.

Depuis une loi du 10 juillet 2000 et la nécessaire adaptation du droit français aux règles européennes sur la libre prestation de service, les ventes aux enchères publiques ont été libéralisées (elles étaient auparavant réservées à la profession de commissaire-priseur).

Il existe ainsi deux grandes activités : les ventes « judiciaires » et les ventes « volontaires », aux côtés desquelles coexiste l’activité de « courtage aux enchères par voie électronique », qui n’est pas régulée.

Les ventes judiciaires

Les ventes judiciaires (ex : liquidations judiciaires, ventes sous saisies) sont prescrites par la loi ou par une décision de justice.

Ces ventes sont réalisées dans le cadre du service public de la justice et sont ainsi réservées à certaines professions (ex : commissaires-priseurs judiciaires, notaires, huissiers).

Les ventes judiciaires regroupent ainsi toutes les ventes ayant un caractère forcé, mais également d’autres types de ventes, comme par exemple les ventes réalisées dans le cadre d’une succession.

Les ventes volontaires

Les ventes volontaires désignent les “ventes faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs à l’issue d’un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent” (art. L.320-2 du Code de commerce).

En substance, il s’agit de ventes aux enchères régulées dans laquelle les parties décident volontairement de se soumettre aux règles et au processus de la vente. La vente est formellement conclue par l’opérateur de vente volontaire via un processus d’adjudication. Ces ventes sont traditionnellement réalisées dans des salles ouvertes au public mais elles peuvent également être réalisées en ligne, auquel cas les mêmes règles s’appliquent.

Depuis la loi du 10 juillet 2000, les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sont quasi-exclusivement réservées à des opérateurs de ventes volontaires. Il s’agit de sociétés de nature commerciale ou des personnes physiques qui doivent répondre à une série de conditions fixées par l’article L.321-4 du Code de commerce.

Elles doivent être déclarées au CVV, qui est l’organe de régulation du secteur, n’ayant pas tout à fait la qualité d’autorité administrative indépendante mais agissant comme une autorité de régulation traditionnelle.

Le fait de procéder à des ventes volontaires aux enchères publiques relevant de l’article L.320-2 du Code de commerce sans procéder à une déclaration auprès du CVV ou sans remplir les conditions requises par la loi (visées à l’art. L.321-4 du Code de commerce) est puni de deux ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende.

Le courtage aux enchères 

A côté des ventes judiciaires et des ventes volontaires, il faut également mentionner l’activité de “courtage aux enchères réalisées à distance par voie électronique” qui se caractérise “par l’absence d’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs et d’intervention d’un tiers dans la description du bien et la conclusion de la vente”.

En substance, l’activité de courtage aux enchères en ligne consiste seulement à mettre  en place des fonctionnalités permettant à l’acheteur et au vendeur de réaliser des ventes par enchères, sans pour autant que la vente ne soit formellement conclue par l’intermédiaire organisant la vente, au contraire d’une vente volontaire.

La limite entre l’activité de courtage et l’activité régulée de vente volontaire est parfois ténue. La jurisprudence a par exemple déjà jugé que l’activité d’eBay relevait d’une activité de courtage, notamment parce que l’acheteur fait une offre que le vendeur est toujours libre ou non d’accepter avant de conclure définitivement la vente, à la suite d’une action initiée par le CVV.

D’un strict point de vue juridique, les juridictions considèrent ainsi que dans le cadre d’un courtage aux enchères, c’est l’acheteur qui émet une offre et le vendeur qui procède à l’acceptation, à l’inverse d’une vente volontaire où l’opérateur émet une offre au nom et pour le compte du vendeur que le mieux-disant des acheteurs accepte à la “criée”.

Cette analyse est confirmée par la Cour de cassation qui a par exemple considéré que l’activité d’une société organisant des ventes aux enchères de véhicules d’occasion sur Internet ne relevait pas d’une activité régulée car l’acheteur devait “procéder seul, sans l’intervention de la société (…) à une nouvelle manoeuvre pour confirmer son accord, de sorte que le bien mis en vente n’était pas adjugé à l’issue des enchères et que le dernier enchérisseur restait libre de ne pas contracter”.

Bien que l’activité de courtage aux enchères ne soit pas régulée comme celle des ventes volontaires, il existe néanmoins un régime juridique spécifique consistant pour l’essentiel en des règles d’information du consommateur.

 

Comment les ventes aux enchères de NFTs s’intègrent-elles dans le cadre juridique français ?

Les ventes judiciaires de NFTs sont-elles possibles ?

Bien que la qualification juridique des NFTs soit incertaine (voir notre article sur leur qualification possible aux yeux de la loi fiscale), aucune règle légale n’exclut la vente d’un NFT dans le cadre d’une vente judiciaire qui serait consécutive à une saisie pénale.

Ceci semble d’autant plus possible qu’en mars 2021, un organe étatique, l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (“AGRASC”) a organisé une vente aux enchères de bitcoins, à la suite d’une saisie réalisée par le parquet de Paris.

Les NFTs ne présentent pas les mêmes caractéristiques que les bitcoins (en particulier, ils ne sont pas “fongibles” bien que ce point technologique puisse être discuté), mais ils reposent néanmoins sur des technologies similaires, de sorte qu’il est possible de considérer que si l’AGRASC a pu réaliser une vente aux enchères de bitcoins, elle serait sûrement en mesure de réaliser une vente aux enchères de NFTs. A cet égard, ceci est déjà arrivé au Royaume-Uni puisqu’à récemment eu lieu une saisie de NFTs par un organe du gouvernement anglais.

Certaines collections de NFTs comme le Bored Ape Yacht Club ou les Crypto-Punks sont entrées au panthéon du crypto-art, ce qui expose leurs propriétaires à de potentielles escroqueries ou vols (voir par exemple ce détenteur de BAYC qui s’est fait volé pour 2.2 millions de dollars de NFTs). Ces NFTs seront donc particulièrement susceptibles de faire l’objet de saisies pénales à la suite d’une enquête des autorités.

Ventes volontaires : une impossibilité légale de réaliser des ventes aux enchères de NFTs

Ainsi que le pointe le rapport du CVV, “la loi ne permet pas aujourd’hui aux opérateurs de ventes aux enchères d’organiser en France des ventes de NFT dans la mesure où ils sont des biens incorporels”.

En effet, l’article L.321-2 du Code de commerce dispose que « sont considérés comme meubles […] les meubles par nature ». Ce texte vise donc les seuls meubles corporels de l’article 528 du code civil. Les meubles incorporels et les immeubles sont par conséquent exclus du champ d’application des ventes volontaires.

Cette restriction est d’autant plus préjudiciable que les intérêts du recours à des opérateurs de ventes volontaires dans le cadre d’une vente aux enchères sont multiples. Par exemple :

  • Authenticité : bien que les technologies blockchain permettent précisément de garantir l’authenticité des NFTs et que leur objet premier est de se passer d’intermédiaires, il est parfois difficile de s’y retrouver eu égard au nombre de NFTs et aux nombreuses arnaques et fraudes sur les collections les plus recherchées. Le recours à des professionnels permettrait d’augmenter la sécurité juridique des transactions les plus importantes.
  • Technique : l’achat et la vente de NFTs n’est pas un exercice aisé lorsque l’on connaît mal les technologies et les outils qui y sont associés. Le recours à des professionnels permet de déléguer la charge et la responsabilité liées au transfert de propriété. Tout comme les fonds d’investissement comme Grayscale qui permettent d’investir dans les crypto-actifs sans en acheter ni en détenir, les opérateurs de vente volontaires pourraient permettre à des acteurs institutionnels refroidis par la complexité des technologies de se positionner sur l’achat de NFTs.
  • Rayonnement : l’entrée des maisons de vente aux enchères sur le marché des NFTs permettrait de contribuer au développement des NFTs et au recours à ces technologies, eu égard à la renommée et au sérieux généralement associés aux maisons de ventes aux enchères, ce qui est déjà plus ou moins arrivé.

Ainsi, alors que la maison de vente américano-britannique Sotheby’s s’est déjà décidée à investir sur les ventes de NFTs dans le metaverse, la loi française gagnerait à être modifiée afin de permettre aux opérateurs français de réaliser des ventes de NFTs, cette réglementation restrictive étant un frein au développement des entreprises françaises de vente aux enchères.

C’est probablement dans cette optique que le Parlement envisage de supprimer cette restriction et d’étendre le régime des ventes volontaires aux enchères publiques à l’ensemble des biens meubles et de facto aux meubles incorporels, dans le cadre d’une proposition de loi du Sénat visant à moderniser la régulation du marché de l’art.

Courtage aux enchères et NFT

Aujourd’hui, la plupart des plateformes de vente de NFT ont recours à un mécanisme d’enchères qui pourraient relever d’une activité de courtage aux enchères, comme par exemple sur OpenSea :

Plus fondamentalement, et peu importe la définition juridique que l’on retient des NFTs, ces plateformes sont en premier lieu soumises au droit de la consommation qui leur est applicable, ce qui inclut notamment en droit français la mise à disposition d’informations précontractuelles, comme par exemple les éléments visés à l’article L.111-1 du Code de la consommation (ex : “les caractéristiques essentielles du service concerné” ou les « fonctionnalités du contenu numérique et, le cas échéant, son interopérabilité”).

En droit français, le régime du courtage aux enchères inclut par ailleurs :

  • l’article L.321-3 du Code de commerce rappelle que la plateforme qui met à disposition d’un utilisateur “une infrastructure permettant d’organiser et d’effectuer une opération de courtage aux enchères par voie électronique informe le public de manière claire et non équivoque sur la nature du service proposé” – obligation d’information dont le manquement est sanctionné d’une amende de 15.000 euros pour une personne physique et de 75.000 euros pour une personne morale.
  • le cadre juridique impose également à l’opérateur de fournir aux consommateurs une information spécifique sur les biens dits “culturels”, sans pour autant que cette catégorie ne soit précisément définie.

 

Ce qu’il faut retenir

L’enjeu pour les pures marketplace est aussi d’éviter que leur service soit assimilé à une vente volontaire, dont l’exercice constitue une activité régulée, puisque le régime du courtage aux enchères est bien moins exigeant car seulement encadré par des règles consuméristes.

Eu égard à la jurisprudence précitée, il semble ainsi important que le vendeur ait toujours le choix de conclure la vente après qu’une enchère atteignant le prix fixé par l”acquéreur après le temps écoulé.

Or, la technologie offerte par les smart contracts permet justement au vendeur de faire conclure automatiquement la vente sur la plateforme si le prix fixé par le vendeur est atteint et que le temps fixé pour la vente est écoulé (“English Auction”), de sorte que c’est bien le vendeur qui fait l’offre et l’acheteur qui l’accepte, en remplissant les conditions requises par la vente.

La technologie des smart contracts étant extrêmement récente, il est difficile de se prononcer sur la possible requalification de certaines ventes aux enchères ayant lieu sur les plateformes de NFTs en vente volontaire. Nul doute que la première décision de justice sur la question sera extrêmement intéressante pour les acteurs concernés.

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