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6 mars 2019

Etude comparée : Régulation des cryptos en Suisse

Auteur
Alexandre Lourimi

Après Malte, notre série d’articles se penche sur la régulation des cryptos en Suisse.

La Suisse est vraisemblement le pays européen le plus attractif pour les entreprises du secteur des cryptos comme l’a d’ailleurs récemment souligné Raphael Bloch dans un reportage sur la Cryptovalley.

Elle est également une place financière de premier ordre, derrière Londres, Paris ou Francfort, qui peut être intéressant pour les FinTech.

Dans le secteur blockchain, la Suisse est principalement connue pour la présence d’un grand nombre de projets liés aux cryptomonnaies, comme la Fondation Ethereum ou celle de Tezos à Zoug. Ce canton héberge également la Crypto Valley Association qui regroupe un grand nombre de professionnels du droit ou du chiffre, de banques ainsi que les pouvoirs publics locaux.

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1. Qualification juridique

Aucune régulation spécifique aux cryptos et aux technologies blockchain n’a été adoptée en Suisse, ni par les autorités fédérales, ni par les cantons.

Cependant, ces opérations étant susceptibles, plus particulièrement s’agissant des ICOs, d’entrer dans le champ de la régulation financière, le régulateur financier suisse ー la FINMA ー a pris position pour assurer une certaine sécurité juridique des acteurs et des investisseurs et clarifier les modalités d’application de cette régulation.

La FINMA a tout d’abord procédé, les 19 et 29 septembre 2017, à des mises en garde concernant certains émetteurs de tokens sujets à caution. Le régulateur a ensuite publié un guide pratique définissant les grands principes et les conditions de la régulation des acteurs.

Le guide pratique commence par définir et classifier les différents types de cryptoactifs susceptibles d’être rencontrés en adoptant une « approche économique » :

  • « jetons de paiement » ou « cryptomonnaies » qui n’ont comme seule utilité que de servir comme moyen de paiement ;
  • « jetons d’utilité » qui donnent accès à un usage ou à un service numérique fonctionnant sur une blockchain ;
  • « jetons d’investissements » qui représentent une valeur patrimoniale telle qu’une créance ou un droit de sociétariat au sens du droit des sociétés suisse ;

La FINMA suisse relève également l’existence de cryptos hybrides répondant à la définition de plusieurs des catégories de jetons précitées.

Enfin, la FINMA prend position sur l’application de la réglementation financière classique sur le fondement de la qualification de valeur mobilière ou non des cryptoactifs.

  • les jetons d’utilité ne sont pas des valeurs mobilières en principe et échappent donc à cette régulation ;
  • les jetons de paiement font débat et, en l’absence de jurisprudence sur leur qualification, la FINMA décide de ne pas les traiter comme des valeurs mobilières ;
  • les jetons d’investissements sont traités comme des valeurs mobilières et donc assujettis à la réglementation financière.

2. Régulation

Les prestataires de services en cryptoactifs ne font l’objet d’aucun encadrement spécifique et aucune autorité suisse n’a encore pris position sur les normes applicables à leur activité.

Cependant, les émissions de cryptoactifs ont rapidement été encadrées, sur le fondement du droit existant, par le régulateur financier suisse, la FINMA.

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D’abord, toute personne envisageant de réaliser une ICO est invitée à se rapprocher de la FINMA pour qu’elle puisse apprécier la régulation applicable au projet.

Ainsi, en Suisse, l’émetteur de cryptos doit fournir un nombre important d’informations relatives aux porteurs du projet et à la nature de l’innovation technologique :

  • informations sur la gouvernance ー l’émetteur doit présenter l’ensemble de son équipe et préciser si ses membres disposent d’autorisations financières dans d’autres Etats ;
  • informations sur le projet ー l’émetteur doit exposer son projet, le marché visé, les modalités de commercialisation, les étapes de développement, les technologies utilisées, les cryptomonnaies acceptées lors de l’ICO, l’objectif financier de la levée en francs suisses, les éventuelles restrictions quant à la qualité des investisseurs, etc. ;
  • informations sur le cryptoactif émis ー l’émetteur doit expliquer le fonctionnement et la fonction du cryptoactif, les modalités de son développement technique, les étapes de création ainsi que les droits qu’il confère à son utilisateur ;
  • informations sur le marché secondaire ー l’émetteur doit décrire le marché secondaire de son cryptoactif et notamment la possibilité d’un rachat de son token, l’existence de plateformes de change le listant, etc.

Cependant, aucune procédure de visa ou d’autorisation préalable n’a été instaurée par les autorités suisses pour les opérations d’ICOs portant sur des cryptoactifs échappant à la régulation financière classique.

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Ensuite, trois différents régimes financiers sont susceptibles de s’appliquer selon la qualification donnée aux jetons :

  • la loi sur les bourses applicable aux cryptoactifs qualifiés de valeurs mobilières ; dans certains cas, selon la sous-catégorie de valeurs mobilières dont il s’agit, l’opération impliquera l’obtention préalable d’une autorisation (c’est le cas lorsque l’opération est assimilable à une émission publique) ou l’obligation de réaliser un prospectus en amont de l’opération (c’est le cas lorsque les cryptoactifs émis sont assimilables à des actions ou à des obligations.) ;
  • la loi sur les banques applicable aux opérations de dépôt et nécessitant une autorisation préalable ; ce cas de figure est, selon la FINMA, rare dans le cadre d’une ICO mais pourrait se présenter si l’émetteur prenait un engagement de rachat des cryptoactifs émis notamment ;
  • la loi sur les placements collectifs — dans le cadre d’une opération d’ICO, ce régime juridique trouverait à s’appliquer si les fonds récoltés étaient administrés par un tiers.

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Enfin, l’ICO est susceptible d’être assujettie aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Selon la FINMA « l’émission de jetons de paiement représente une émission de moyens de paiement assujettie, dès lors que les jetons peuvent être techniquement transmis sur une infrastructure de type blockchain. Cela peut être le cas dès la date de l’ICO ou ultérieurement ».

Cependant, l’émission de jetons d’utilité peut, dans certains cas, ne pas être assujettie à la lutte contre le blanchiment « lorsque l’émission des jetons doit principalement permettre d’accéder à une utilisation de la blockchain à des fins extérieures au secteur financier ».

L’assujettissement à la LCB-FT implique, comme en France, l’obligation d’adopter une approche par les risques, des mesures de connaissance du client (KYC) et de contrôle de l’origine des fonds (AML), et de procéder, si nécessaire, à des déclaration de soupçons, etc.

3. Fiscalité

Gains de trading

Selon l’administration fiscale fédérale suisse, les opérations d’achat-revente de cryptos sont fiscalement assimilées à des transactions entre monnaies traditionnelles et les modalités d’imposition dépendent de la qualification de la gestion plus que de celle de l’objet géré.

En principe les gains réalisés sur des bitcoins sont considérés comme des gains en capital non imposables lorsqu’ils entrent dans le cadre d’une gestion privée du patrimoine.

En revanche, si les gains réalisés sur les cryptoactifs sont regardés comme entrant dans le cadre d’une activité lucrative, ils sont considérés comme des opérations sur devises dont les gains sont soumis à l’impôt sur le revenu.

  • Les gains résultent toujours d’une gestion privée lorsque les valeurs sont détenues au moins 6 mois, le volume total des transactions ne représente pas plus du quintuple de la valeur des avoirs et les gains représentent moins de 50 % du revenu net de la période fiscale.
  • Si le contribuable n’est pas dans cette situation, le caractère de gestion privée ou d’activité lucrative sera déterminé selon les critères suivants : montant des transactions, fréquence et durée de conservation ; recours à des fonds étrangers ; utilisation de dérivés ; manière d’agir systématique ou planifiée ; rapport étroit entre les transactions et l’activité professionnelle ou utilisation de connaissances spéciales.

ICOs

Certains cantons ont pris position sur le traitement fiscal des revenus générés au cours d’une ICO. C’est le cas du canton de Genève qui tente de faire de son territoire un canton particulièrement attractif, sur le même modèle que le canton de Zoug.

Les autorité estiment ainsi que les revenus générés par l’opération doivent être comptabilisés en produits, quelle que soit la qualification du cryptoactif émis. En contrepartie, l’émetteur est autorisé à constituer une provision de même montant correspondant à l’engagement pris de livrer un bien ou un service. Ainsi, aucun produit imposable ne doit être constaté lors de l’opération.

Par la suite, l’émetteur est tenu de dissoudre ses provisions à hauteur des dépenses effectuées. Les charges neutralisent ainsi les produits résultant de la reprise de la provision.

Enfin, si à l’issue de la phase de développement, la totalité de la provision n’a pas été dissoute, cette fraction constitue un revenu imposable puisqu’elle doit être dissoute sans qu’aucune charge ne puisse la compenser.

Minage

Si l’activité est pratiquée de manière occasionnelle, les cryptoactifs reçus en échange ne feront pas l’objet d’une imposition. En revanche, si l’activité présente un caractère lucratif, l’impôt sur le revenu s’appliquera.

Valorisation

Concernant la valorisation en francs suisses des cryptoactifs, l’administration fiscale du canton de Genève a publié, de manière inédite, des cours officiels des principaux cryptoactifs auxquels les contribuables sont invités à se référer.

Taxe sur la valeur ajoutée

Le droit suisse appliquant les principes dégagés par la CJUE en matière de TVA, plusieurs experts estiment que les échanges de cryptoactifs qualifiés de « jetons de paiement » pourraient bénéficier d’une exonération de TVA sur le fondement de la jurisprudence Hedqvist de la CJUE.

S’agissant des opérations d’ICO, il en irait de même. Par ailleurs, si le cryptoactif émis était qualifié de « jeton d’investissement », il pourrait également bénéficier d’une exonération.

En revanche, en matière de « jetons d’utilité », l’opération pourrait être analysée comme le prépaiement d’un service ou d’un bien futur. Un débat reste en suspens sur le moment d’assujettissement à la TVA. En principe, si le bien ou le service à venir peut être suffisamment identifié, la TVA devra être collectée au moment de l’ICO. Dans le cas contraire, la TVA ne trouvera à s’appliquer qu’au moment de l’utilisation effective du service ou de la livraison du bien.

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